Les «nouveaux» produits du tabac: évolutions et conséquences

FMH
Édition
2021/34
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20096
Bull Med Suisses. 2021;102(34):1076-1078

Affiliations
Directeur de l’Association suisse pour la prévention du tabagisme; chercheur associé auprès de l’ISPM à Berne; SSPH+ fellow

Publié le 25.08.2021

La nouvelle Loi sur les produits du tabac (LPTab), en discussion au Parlement, a pour objet de réguler tous les produits contenant du tabac et de la nicotine. A ce propos, relevons qu’en Suisse, les cigarettes électroniques (electronic nicotine delivery systems ou ENDS) ne sont soumises à aucune réglementation. En l’état actuel, la LPTab n’y changera quasiment rien et ne sera qu’un tigre de papier.

Les nouveaux produits à base de nicotine et leurs risques pour les jeunes

Devant les mesures de prévention du tabagisme toujours plus efficaces prises dans de nombreux pays et la baisse de consommation qui en a découlé, l’industrie du tabac, craignant une diminution de son chiffre d’affaires, a lancé plusieurs produits de remplacement de la cigarette. Les premières cigarettes électroniques ont été commercialisées en 2008/2009, chamboulant les habitudes de consommation de tabac et de nicotine. Ces nouveaux produits ont conquis le marché sans peine car la Suisse est à la traîne dans la mise en œuvre de mesures de prévention du tabagisme [1]. Qui plus est, selon une étude récente, la consom­mation de cigarettes électroniques a littéralement explosé chez les jeunes: 74% des adolescentes et adolescents (de 13 à 17 ans) qui fument consomment aussi des cigarettes électroniques (ENDS) [2].

Cigarettes électroniques: 
des gros ­réservoirs aux «Puff Bars»

On trouve désormais des centaines de marques et de modèles, que ce soit en ligne ou dans des magasins de vapotage, et ces produits se déclinent en des milliers de saveurs différentes. Ils ne sont soumis à aucune taxe, puisqu’ils ne contiennent pas de tabac, et l’industrie du tabac en fait la promotion à coup d’arguments mettant en avant la «réduction des risques», alors même que leur efficacité en termes de réduction du tabagisme reste controversée d’un point de vue de santé publique. Le risque que ces produits induisent une dépendance à la nicotine chez les jeunes a été clairement démontré. Aux Etats-Unis, où les politiques de réduction du tabagisme dans les écoles avaient été efficaces, la consommation de cigarettes électroniques a augmenté de 1800% entre 2011 et 2019 [3].
Il existe différents types de cigarettes électroniques. Chez les adultes, la forme d’utilisation la plus courante est celle des «mods», des appareils plutôt volumineux et inélégants qui permettent non seulement de choisir parmi des milliers de saveurs, de composer son propre mélange et liquide, mais aussi de jouer à l’apprenti chimiste en adaptant le dosage de la nicotine.
Sur cette photo se cachent quatre cigarettes électroniques: pouvez-vous les voir?
Quant aux «pods», un autre type de cigarette élec­tro­nique très populaire, ce sont de petites capsules jeta­bles aux saveurs différentes. Et même si une grande marque comme Juul a subi un revers commercial en Suisse et en Europe, de nombreuses autres marques du même type inondent le marché. A l’instar d’une marque de machines à café populaire, ces cigarettes électroniques ne fonctionnent qu’avec des capsules de la même marque, dans le but de rendre le consommateur dépendant.
Mais la version la plus sournoise, encore méconnue, de dispositif électronique concerne un nouveau type de dispositif jetable, tels les produits de la marque «Puff Bar». Ces derniers se composent d’un boîtier en aluminium avec une batterie et contiennent un liquide aromatisé. Ils permettent d’inhaler une quantité de nicotine équivalente à un paquet de cigarettes, soit 800 «puffs» ou bouffées. Une fois vide, le boîtier est jeté. Ces cigarettes électroniques, qui ressemblent à un Stabilo Boss de couleur vive avec un ­boîtier plus petit et plus fin que d’autres produits, sont toujours plus présentes dans les magasins ou sur les sites de vapotage. Leur usage est massif dans les écoles et elles sont facilement disponibles dans les cantons qui n’ont toujours pas interdit leur vente aux mineurs. De nombreux jeunes en achètent d’ailleurs pour les ­revendre à leurs copains.
Ces nouveaux produits ont pour particularité de permettre de fumer sans être vu (stealth), comme c’est déjà le cas pour le tabac oral ou snus. A la différence des cigaret­tes traditionnelles, ces dispositifs ressemblent aux stylos utilisés par les ados et peuvent facilement être consommés sans éveiller de soupçons. Alors qu’autrefois on devait se cacher dans les toilettes pour fumer, on peut aujourd’hui vapoter sans gêne en classe [4]. De plus, les filtres SLEAV (mysleav.com) récemment mis sur le marché s’adaptent à de nombreux types de cigarettes électroniques pour camoufler les vapeurs. Ces systèmes sont clairement conçus pour favoriser le vapotage en toute discrétion.

Les HTP, de vrais grille-pain à tabac

En 2015, un nouveau type de produit est apparu, le tabac chauffé (heated tobacco products ou HTP, selon la définition de l’OMS). L’industrie du tabac en fait la promotion avec le slogan heat, not burn pour montrer qu’à l’inverse des cigarettes, ces appareils ne brûlent pas le tabac. Les HTP ne chauffent les bâtonnets ­comprimés de tabac que jusqu’à 350 °C, ce qui laisserait penser à tort que ce processus est plus doux et moins nocif que la combustion [5]. En Suisse, l’industrie du tabac fait l’éloge de ces produits à grand renfort de campagnes et de publireportages, avec le soutien d’un grand quotidien zurichois, soulignant l’incroyable avancée technologique que sont ces appareils et affirmant sa volonté de contribuer à un monde sans fumée. En réalité, les HTP n’ont rien d’une avancée technologique. Ils sont tout juste comparables à un grille-pain qui, au lieu de griller des tranches de pain, rôtirait des bâtonnets de tabac assaisonnés d’additifs.
Il a été démontré que la fumée des HTP contient des éléments issus de la pyrolyse et de la dégradation thermique identiques à ceux de la fumée de cigarettes [6]. L’objectif de l’industrie du tabac est d’occuper le marché avec un produit qu’elle qualifie de moins dangereux, destiné à un public plus aisé, afin d’accroître ses bénéfices par rapport à la cigarette ­traditionnelle [7].

Quel est l’impact de ces produits 
en Suisse?

Le Royaume-Uni est souvent cité en exemple pour faire ­valoir que les cigarettes électroniques induiraient une diminution du nombre de fumeurs, faisant montre ainsi d’une louable volonté de «réduction des risques» de la part de l’industrie. On oublie toutefois de préciser que ces dernières années, le Royaume-Uni a mis en place diverses mesures importantes de lutte contre le tabagisme.
Or, si l’on compare le Royaume-Uni et la Suisse, de nombreuses questions se posent: depuis le lancement des systèmes électroniques de délivrance de nicotine (ENDS) en Suisse, aucune mesure majeure de lutte contre le tabagisme n’a été prise si ce n’est la Loi sur la fumée passive entrée en vigueur en 2010, lacunaire et dont l’impact reste faible. En Suisse, l’impôt sur le tabac n’a pas été relevé depuis 2013 et, comparés au pouvoir d’achat, les prix pratiqués dans notre pays sont très bas. On peut se procurer des cigarettes électroniques partout et elles ne sont soumises à aucune taxe ni ­limitation en matière de publicité ou de vente à des ­mineurs, hormis dans sept cantons.
Par ailleurs, on ne constate aucune baisse de la pré­valence du tabagisme, qui se maintient à 27% chez les adultes. La population suisse ayant augmenté d’un million de personnes en douze ans, il en résulte qu’avec un taux de prévalence à 27%, on dénombre, en chiffre ­absolu, quelque 200 000 fumeurs et fumeuses en plus, malgré l’introduction des cigarettes électroni­ques et d’autres produits dérivés. Si leur utilité peut être évoquée dans le cadre d’une consultation visant le sevrage tabagique, il est évident que si l’on se réfère à la Suisse, un marché sans régulation ni contrôle des ­cigarettes électroniques est contraire à une politique de santé publique digne de ce nom. De plus, la cigarette électronique comporte un réel risque d’accoutumance à la nicotine, largement sous-estimé dans notre pays, sans compter que la nouvelle Loi sur les produits du ­tabac ne fournira aucun élément de réponse à ces questions.
1 Joossens L, Feliu A, Fernandez E. The Tobacco Control Scale 2019 in Europe 2020.
2 Mozun R, Ardura-Garcia C, de Jong CCM, et al. Cigarette, shisha, and electronic smoking and respiratory symptoms in Swiss children: The LUIS study. Pediatric pulmonology. 2020. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32716136/
3 Truth Initiative. E-cigarettes: Facts, stats and regulations: ­Factsheet 2019. Available at: https://truthinitiative.org/­research-resources/emerging-tobacco-products/e-cigarettes-facts-stats-​
and-regulations
4 Dormanesh A, Allem J-P. New products that facilitate stealth ­vaping: the case of SLEAV. Tob Control. 2021. doi:10.1136/tobaccocontrol-2020-056408 [published Online First: 24 May 2021].
5 Barben J, Künzli N. Tabakprävention angesichts neuer Trends. Swiss Med Forum. 2019.
6 Auer R, Concha-Lozano N, Jacot-Sadowski I, et al. Heat-Not-Burn Tobacco Cigarettes: Smoke by Any Other Name. JAMA Intern Med. 2017;177(7):1050–2.
7 Ruggia L. Heated Tobacco Products: Deep Dive Switzerland: A Policy Brief 2020.

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