Au chevet des défuntsElle a inventé l’angiographie post-mortem et dirige aujourd’hui le Centre romand de médecine légale. Rencontre avec Silke Grabherr, une experte internationale aux multiples talents.
Atypique. C’est ainsi qu’elle aime à décrire son parcours et la position qu’elle occupe aujourd’hui dans le paysage médical suisse. Silke Grabherr est médecin légiste et directrice du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), à Lausanne. Son agenda est archiplein, elle prend toutefois le temps de recevoir et d’écouter son interlocutrice. «Un premier retard dans mes rendez-vous en début de journée, et c’est l’effet domino assuré!» lâche-t-elle avec un sourire, offrant un siège. Elle a des yeux espiègles. Mais elle est concentrée. Elle répond de façon posée, après de courtes pauses, nécessaires à sa réflexion.
«Si je dois me reconnaître une fierté, c’est celle d’avoir décroché mon privat-docent en médecine légale à l’âge de 33 ans», concède Silke Grabherr. «Ce qui m’a permis de devenir par la suite la plus jeune professeure ordinaire de Suisse, en étant nommée dans les universités de Genève et de Lausanne.» Le titre est reçu à l’Université de Lausanne (UNIL) en 2013. Il vient confirmer la capacité de la légiste à diriger le petit groupe de recherche qu’elle a constitué 4 ans plus tôt autour de son sujet de prédilection: l’angiographie post-mortem. Promue cheffe de l’Unité d’imagerie forensique créée à cette occasion, elle prend les rênes du CURML en 2016. En 2019, elle est nommée membre de l’Académie suisse des sciences médicales «en raison de son excellence scientifique». À 42 ans, son début de carrière est brillant et doit beaucoup à l’un de ses traits de caractère évident: elle est déterminée.
Très tôt, elle a appris à viser haut
Silke Grabherr est autrichienne. Elle aurait pu être serveuse, infirmière ou policière. Point commun de ces professions et qu’elle recherche avant tout? Rendre service et être au contact des gens. Fille unique d’une jeune mère encore apprentie, élevée dans le giron d’une grand-mère soignant une douzaine d’enfants à domicile, elle a appris très tôt à se débrouiller seule et à viser haut. «Pendant longtemps, je n’ai pas eu mon mot à dire et j’ai suivi les injonctions maternelles», confie-t-elle. Après avoir validé plusieurs diplômes dans l’hôtellerie, elle souhaite poursuivre les études et embrasser la carrière de médecin. «J’ai été soutenue dans ce choix… à condition de trouver les sous pour l’assumer. J’ai exercé différents métiers dont celui de serveuse et de gérante de magasin pour financer mes études à la faculté de médecine d’Innsbruck».
À cet endroit, on lui propose de finaliser son cursus universitaire par un stage en médecine interne, puis de l’embaucher. Mais lors d’un cours de médecine légale, elle avait eu le déclic. Elle se souvient: «J’assistais à une autopsie. J’ai compris alors qu’à travers cette spécialité, on pouvait enfin traiter l’être humain dans son entièreté, et non pas se concentrer uniquement sur l’un de ses petits bouts! Mon choix était fait.» Son chef de service a cru tout d’abord à une lubie. En effet, le domaine, méconnu, attire peu. Il la recommande cependant auprès du directeur de l’Institut de médecine légale de Berne, le professeur Dirnhofer, considéré par les siens comme le père de l’autopsie virtuelle. Silke Grabherr le rejoint en 2003. Son destin professionnel est scellé.
Le sang circule, mais le cœur ne bat plus
Son sujet de thèse doctorale est un défi: reconstituer à l’écran le système vasculaire d’un défunt, alors que le cœur de ce dernier ne bat plus. En trois mois, elle réussit à résoudre le problème. L’idée est ingénieuse: elle injecte une huile, associée à un produit de contraste, dans l’aine du cadavre et recrée la circulation de façon artificielle à l’aide d’une pompe. L’examen scanner du corps livre ainsi des images des veines et des artères particulièrement précieuses pour identifier l’origine exacte d’une hémorragie lors d’une autopsie. Le principe de l’angiographie post-mortem était né.
Silke Grabherr optimise la méthode à l’Institut de Berne, tout d’abord, en tant que médecin-assistante. Puis à l’Institut de médecine légale de Lausanne, où elle entre en 2007. La technique est un standard utilisé aujourd’hui dans le monde entier et lui a ouvert de nombreuses portes. Parallèlement à ses travaux de recherche, elle suit une formation de médecin légiste et obtient la spécialité.
Médecin, manager et formatrice
La directrice du CURML a sous sa responsabilité plus de 260 collaborateurs, répartis dans les quatre institutions (UNIL, UNIGE, CHUV, HUG) et douze unités du Centre universitaire. Une cinquantaine de métiers y sont représentés. Hormis les nombreux légistes, on rencontre entre autres des cliniciens, psychiatres, toxicologues, chimistes, généticiens et anthropologues. C’est en coordonnant le travail de tous ces experts qu’il est possible de répondre aux questions de la justice d’ordre médical. Parmi les nombreuses casquettes de Silke Grabherr, celles de manager et de formatrice accaparent l’essentiel de son temps. Elle coordonne, entre autres, toutes les actions de formation en matière de médecine légale sur le territoire romand. «On observe actuellement une forte augmentation des plaintes déposées par les patients envers leurs médecins», note la légiste. Pour y parer, elle multiplie les efforts afin de donner les moyens à ses confrères d’éviter les pièges. Dans ce registre, une nouvelle formation – «Le médecin accusé» – vient de démarrer aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Alors qu’elle est souvent réduite à la thanatologie, «la médecine légale est un domaine où l’on est plus que jamais au contact du vivant», estime la professeure. Cette vitalité existe déjà parce que la moitié des personnes auscultées sont bien vivantes. Mais aussi parce le métier de légiste mobilise des compétences comme la capacité de travailler en équipe et d’investiguer des champs nouveaux. La nécessité de se lever en pleine nuit pour se déplacer sur une scène de crime et de faire face à l’inconnu. Ces éléments sont propices à une stimulation et au passage à l’action, c’est ce qu’apprécie Silke Grabherr. «J’aime aussi prendre mon temps avec les personnes décédées, souligne-t-elle. C’est leur témoigner respect que de les examiner patiemment, organe après organe. Après tout, on est leur dernier médecin.»
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