Recherche successeur

Portrait
Édition
2023/46
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.1152618689
Bull Med Suisses. 2023;104(46):78-79

Publié le 17.11.2023

Transmission
Faute de repreneurs, de nombreux cabinets de médecine générale doivent fermer, comme celui de Beatrice Würmli à Berne. Jörg Rohrer a quant à lui eu la chance de trouver un successeur. Les deux praticiens se sont rencontrés pour faire le point sur une profession en pleine mutation.
Tous les médecins de famille de Berne te connaissaient», lance Beatrice Würmli à Jörg Rohrer. «Tu es celui qui a trouvé un repreneur.» Pendant des ­années, tous deux ont cherché des successeurs pour leurs ­cabinets: par le biais du bouche-à-oreille, d’annonces, d’assistants médicaux, d’événements dédiés. «On a l’impression que beaucoup souhaitent faire de l’argent avec les cessions de ­cabinet», dit Beatrice Würmli. Mais pour Jörg Rohrer, qui était alors en train de préparer la liquidation de son cabinet, un tel événement a marqué le tournant qu’il espérait. Un agent fiduciaire l’a mis en contact avec deux jeunes médecins à qui il a pu céder son cabinet à l’automne 2021. Il a perçu 15% de ce qu’il avait payé à son prédécesseur 26 ans plus tôt. Beatrice Würmli et ses collègues auraient cédé leur cabinet de groupe sans indemnité de transfert. L’annonce était formulée dans ce sens. Malgré tout, ils n’ont trouvé aucun repreneur. Lorsque deux médecins de leur cabinet tripartite sont partis à la retraite et qu’ils n’ont pas trouvé de successeur, ils ont décidé de dissoudre ensemble leur cabinet à l’été 2022.
Les patientes et patients de Jörg Rohrer ont pu continuer à fréquenter leur ancien cabinet, Beatrice Würmli a aidé les siens dans la recherche d’un nouveau praticien. «Nous avons assisté à des scènes terribles», raconte-t-elle. «Cela peut déclencher des peurs notamment chez les patients âgés.» Elle a tout de même pu confier sa patientèle à des cabinets de la région, notamment auprès des successeurs de Jörg Rohrer.

Tous deux rêvaient d’être médecins de famille

Ils souhaitaient être proches de leurs patients. Le cabinet était fréquenté par des adultes de 18 à 100 ans et parfois par des enfants pendant les vacances. Jörg Rohrer avait déjà eu un aperçu de l’un des premiers cabinets de groupe à Bâle pendant ses études, puis a travaillé plus tard dans le ­cabinet de médecine générale de son oncle. Beatrice Würmli a travaillé plus longtemps que prévu dans un hôpital en raison du gel des admissions jusqu’en 2004, puisqu’aucun nouveau cabinet ne pouvait être ouvert.

«Nous n’avons pas fait la sourde oreille, nous nous sommes engagés politiquement», explique Jörg Rohrer.

Ils parlent des nombreuses visites à domicile effectuées, parce que cela faisait partie de leur métier. Ils comprenaient beaucoup mieux les problèmes médicaux de certains ­patients en les rencontrant dans leur environnement familial. Ils ont vu la détresse, parfois la négligence, parfois simplement le fait qu’il y avait un escalier raide entre l’appareil à oxygène qui leur avait été prescrit, situé au premier étage, et la chambre à coucher au deuxième. Il n’est pas toujours possible de le savoir en cabinet. Si c’est l’hygiène qui pose problème, on peut en parler. Le patient a peut-être ­besoin d’une aide pour le ménage ou du service de soins à domicile, ou peut-être d’un deuxième appareil à oxygène. Organiser tout cela faisait partie du métier pour Beatrice Würmli et Jörg Rohrer.

Pas assez de temps et trop de tâches

«Je dispose aujourd’hui de 15 à 20 minutes par patient. C’est à peine le temps qu’il faut à une personne âgée pour se ­dévêtir», souligne Beatrice Würmli.
Jörg Rohrer considère que la médecine de famille est ­désavantagée car la médecine axée sur le dialogue est moins bien remboursée. Il s’était spécialisé, entre autres, dans la branche psychosomatique et masculine: «Les hommes ont besoin de plus de temps avant de commencer à parler.» Il a été parfois davantage technicien de santé que médecin, affirme-t-il.
Si Jörg Rohrer a fini par trouver un repreneur pour son cabinet médical, ce n’est malheureusement pas le cas de Beatrice Würmli.

Souvent une question de politique

Sur la table, un livre illustré: «Mut zur Wut», sur la grande manifestation qui avait rassemblé 12 ​000 médecins de ­famille le 1er avril 2006 à Berne. Tous deux étaient présents sur la Place fédérale à l’époque. «Nous n’avons pas fait la sourde oreille, nous nous sommes engagés politiquement», explique Jörg Rohrer. Le fait que les soins médicaux de base soient aujourd’hui ancrés dans la Constitution fédérale a également commencé là. Les choses ont évolué depuis. «Avant, nous n’existions pas au niveau académique», ­explique Jörg Rohrer. Aujourd’hui, il existe des instituts de médecine de famille dans plusieurs universités suisses. Le praticien a partagé ses expériences dans la conduite d’entretiens avec les étudiants en médecine à l’Institut bernois de médecine de famille (BIHAM). Actuellement, ils découvrent la vie réelle dans un cabinet de médecine générale dès leurs études. «Sur mes six assistants médicaux, quatre travaillent aujourd’hui dans un cabinet de médecine générale», indique Jörg Rohrer. Mais un seul d’entre eux est indépendant. Les jeunes préfèrent être salariés et avoir de temps en temps un week-end libre.

Le revers d’un beau métier

Beatrice Würmli et Jörg Rohrer comprennent parfaitement les jeunes médecins. Ils racontent les nombreuses heures qu’ils n’ont pas passées à travailler sur les patients, mais à s’occuper de toujours plus d’administration. Ils parlent de leurs nuits blanches dues à la pression permanente pour faire des économies au détriment des patients et de la spécialisation et sous-spécialisation à outrance dans la médecine.
Pourtant, des études internationales ont montré que plus il y a de médecins généralistes, moins le système de santé est cher, explique Jörg Rohrer. Ils sont préoccupés par le fait qu’aujourd’hui, ce ne sont souvent plus les médecins qui ont la main sur les soins ­médicaux, mais les entreprises. Ainsi, le plus grand cabinet de médecine générale et la plus grande pharmacie de vente par correspondance de Suisse sont désormais entre les mains de la Migros.
Le travail ne leur manque pas. Surtout pas les longs samedis passés aux tâches administratives. Ils peuvent enfin aller au marché. Ou à un concert. Mais ils regrettent le travail avec les gens. «Ces histoires, cet arbre de vie coloré me manquent beaucoup», déclare Beatrice Würmli. Il en va de même pour Jörg Rohrer. Si c’était à refaire, il choisirait à nouveau de devenir médecin de famille. Et Beatrice Würmli? Elle aussi. Mais peut-être pas tout de suite.