Technologie
Avec des imprimantes 3D, il est facile et rapide de créer toutes sortes d’objets sur mesure. Alors pourquoi pas des implants, des guides chirurgicaux ou des cellules? Dignes d’un roman d’anticipation, ces applications sont déjà une réalité en Suisse. Tour d’horizon.
L’histoire de l’imprimante 3D s’apparente à celle de toutes les grandes inventions. Il y a environ 40 ans, des scientifiques curieux se sont d’abord demandé s’il était possible d’imprimer des matériaux couche par couche pour créer une structure tridimensionnelle. Puis des techniques et prototypes ont été mis au point. Bien que la première imprimante 3D ait été brevetée en 1980 [1], le procédé ne s’est pas imposé d’emblée, et pour cause, une imprimante 3D valait 300 000 dollars ou plus dans les années 1980 [2].
Au fil du temps, cette nouvelle technologie a conquis davantage de monde. La demande a augmenté, les appareils se sont améliorés et le prix a baissé. Aujourd’hui, on trouve des imprimantes 3D pour 200 ou 300 francs. Des chaussures de foot aux ordinateurs portables, ou encore des bateaux de près de dix mètres de long et même des maisons, toutes ces créations sont possibles grâce à l’impression 3D et nous laissent bouche bée. En mars dernier, une fusée presque entièrement imprimée en 3D a même décollé de la base de Cap Canaveral en Floride [3].
Les années 1990 ont marqué l’entrée de l’impression 3D dans le domaine médical. «En fait, cette technologie, expression de la digitalisation de notre branche, n’en est qu’à ses débuts», explique Nicolas Bouduban, directeur du Swiss 4m4 Center à Bettlach (SO). Né d’une initiative de la Confédération, le centre entend soutenir le transfert de technologie. En tant qu’incubateur, il aide l’industrie médicale à maîtriser l’impression 3D. Les collaborateurs du centre conseillent et forment les clients, réalisent eux-mêmes des fabrications sur la base de projets ou prennent en charge des études de faisabilité. Selon Nicolas Bouduban, les clients sont de petites ou moyennes entreprises de la technologie médicale désireuses d’utiliser l’impression 3D pour améliorer les processus de fabrication ou pour se mettre à une nouvelle technique.
Des outils pour une médecine personnalisée
Nicolas Bouduban observe deux grandes tendances dans l’utilisation médicale de l’impression 3D, avec d’une part, un moyen de progresser vers une médecine personnalisée. À l’instar des implants, que l’on peut fabriquer sur mesure à partir de données radiologiques, ou de la récente découverte par des chercheurs australiens (à l’aide de comprimés de caféine) de la possible impression en 3D de pilules contenant des substances actives parfaitement adaptées à l’organisme [4].
Nicolas Bouduban observe deux grandes tendances dans l’utilisation médicale de l’impression 3D.
La deuxième tendance consiste en la fabrication de formes anatomiques extrêmement complexes, par exemple pour la planification chirurgicale. «Avec une imprimante 3D, on économise les étapes des méthodes traditionnelles de fabrication, comme le tournage ou le fraisage, en créant des formes en une seule fois», poursuit le directeur du Swiss 4m4 Center.
Une première en Europe
L’Hôpital universitaire de Bâle (USB) est pionnier en matière d’impressions 3D en Suisse. C’est ici que le Prof. Dr méd. Florian Thieringer et le Dr méd. Philipp Brantner, respectivement chirurgien maxillo-facial et radiologue, ont fondé le «3D Print Lab» il y a bientôt dix ans. La petite start-up, née dans un débarras, s’est transformée en un grand projet qui se déploie aujourd’hui sur plusieurs sites comprenant environ trois douzaines d’imprimantes 3D capables de traiter de nombreux matériaux dans les compositions les plus diverses.
«De nombreux objets que l’on fabrique au quotidien sont des modèles anatomiques pour la planification chirurgicale», explique Florian Thieringer, médecin-chef en chirurgie orale et maxillo-faciale à l’USB. En se basant sur les données radiologiques d’un patient, on obtient des copies exactes de son anatomie. «On peut alors planifier chaque étape avant intervention et adapter les implants standards à la perfection, en plus de réduire considérablement le temps d’opération.» En cas de lésions de l’orbite, des études menées par Florian Thieringer et son équipe ont montré que ces procédés donnaient des résultats d’opérations satisfaisants et réduisaient le temps d’intervention de plus d’un tiers [5, 6].
L’USB a également recours à des implants de forme adaptée au patient, issus de l’impression 3D. «Leur utilisation est désormais bien ancrée dans la chirurgie maxillo-faciale», explique Florian Thieringer. Jusqu’à présent, l’hôpital faisait imprimer les implants par des partenaires industriels externes. Mais fin août, l’équipe de l’USB a été la première en Europe à poser une plaque crânienne imprimée par ses soins sur un patient [7].
La petite start-up, née dans un débarras, s’est transformée en un grand projet multisite.
Selon Florian Thieringer, une phase de recherche et de développement de plusieurs années a précédé ce succès. D’abord, le processus de fabrication relevait du défi: «Il nous a fallu plusieurs années avant de pouvoir imprimer des implants de haute qualité en PEEK, un matériau plastique haute performance». Le PEEK (polyétheréthercétone) est biologiquement compatible, bien toléré et possède de nombreuses propriétés similaires, voire supérieures, à l’os humain. Contrairement aux métaux, il ne conduit, par exemple, pas la chaleur et n’est donc pas source d’inconfort en hiver.
Ensuite, il fallait satisfaire les prescriptions des autorités compétentes. En collaboration avec des partenaires externes et des fabricants d’imprimantes 3D, les processus d’imagerie, d’impression et de conception ont été perfectionnés et documentés techniquement jusqu’à l’implant fini. Pour Florian Thieringer, l’impression des implants à l’hôpital présente plusieurs avantages: rapidité et possibilité de mieux répondre aux besoins des patients. «Les voies de communication très courtes rendent les échanges rapides», ajoute-t-il.
Des guides chirurgicaux imprimés en 3D
Depuis plusieurs années, la Clinique universitaire Balgrist à Zurich utilise aussi l’impression 3D. Ici, les implants ne sont pas au cœur des préoccupations, même si le centre interne de planification opératoire et d’impression 3D a déjà planifié ou fait imprimer en externe des plaques et implants adaptés aux patients. À Balgrist, la technologie d’impression 3D intervient surtout dans le traitement et la correction des malformations osseuses, explique le Prof. Dr méd. Sandro Fucentese, responsable du service de chirurgie du genou. En effet, le centre crée, sur la base de clichés CT, des guides chirurgicaux pour ce type d’interventions. Le chirurgien ou la chirurgienne pose ces «gabarits» au bon endroit pour une incision précise. Ainsi, l’intervention gagne en rapidité et en précision. Pour le patient, cela se traduit par une réduction à la fois des douleurs, des pertes de sang et de la durée de l’opération.
La deuxième application majeure de l’impression 3D à Balgrist consiste en la planification d’interventions à l’aide de modèles anatomiques tridimensionnels. «Tenir un tel modèle et l’examiner sous toutes les coutures est d’une grande aide», souligne Sandro Fucentese. En chirurgie tumorale notamment, les conditions anatomiques sont parfois très complexes.
Cependant, ces outils ne peuvent pas remplacer les compétences médicales spécialisées. «L’interaction entre chirurgiens et techniciens est primordiale», relate Bastian Sigrist, directeur adjoint du centre de planification opératoire et d’impression 3D à Balgrist. Son équipe consulte toujours les médecins. «En effet, il y a toujours des cas où il faut réajuster. Par exemple lorsque le chirurgien ou la chirurgienne s’aperçoit que l’incision planifiée comporte un risque de conflit avec un vaisseau sanguin», ajoute-t-il. En tant qu’ingénieur, les retours de la pratique revêtent une grande importance: savoir ce qui a fonctionné ou non contribue au perfectionnement permanent.
Une prise en charge des caisses-maladie encore rare
L’Hôpital universitaire de Bâle s’intéresse particulièrement à l’évolution de cette technologie. Florian Thieringer veut aller au-delà de la création d’implants crâniens, en imprimant sur place des implants sur mesure pour le visage et la colonne vertébrale. En outre, ce dernier envisage de nouveaux matériaux: «À l’avenir, nous aimerions fabriquer des implants en titane à l’hôpital. Les matériaux résorbables, entre autres capables de se dissoudre naturellement après consolidation de l’os, évitent une opération ultérieure pour retirer l’implant et nous intéressent particulièrement.»
Cette technologie prometteuse connaît des contraintes et des limites: les caisses-maladie participent rarement aux coûts des implants 3D.
Mais cette technologie prometteuse connaît des contraintes et des limites. Pour Nicolas Bouduban du Swiss 4m4 Center, d’autres modes de fabrication sont plus rentables pour les productions à grande échelle. Et le coût des implants 3D reste élevé. Les caisses-maladie ne le couvrent que dans de rares cas, précise Florian Thieringer. «Par conséquent, de nombreux patients ne peuvent pas bénéficier de ce traitement avantageux ou alors la prise en charge n’est pas couverte par les forfaits par cas.» C’est pourquoi il préconise que ce type de traitement soit désormais considéré dans la tarification.
Des tissus humains issus de la bio-impression en 3D
Toutes sortes de matériaux se prêtent à l’impression 3D, même des cellules vivantes. C’est ce que l’on appelle la bio-impression. Pour ce faire, on imprime un mélange de cellules vivantes et de biomatériau comme la gélatine. Avec des techniques spécifiques, les scientifiques produisent artificiellement des tissus vivants. Cette technologie en est encore au stade d’ébauche, explique Marcy Zenobi-Wong, professeur en ingénierie tissulaire et en biofabrication à l’École polytechnique fédérale de Zurich. À sa connaissance, aucune application n’est pour l’instant prête à être commercialisée.
Marcy Zenobi-Wong et son équipe sont spécialisées dans la réparation du tissu cartilagineux et étudient différentes approches de bio-impression 3D [8]. Selon elle, le cartilage, moins complexe que d’autres tissus ou organes, s’y prête particulièrement: «Le tissu cartilagineux ne remplit qu’une fonction de soutien et de lubrifiant. De plus, maintenir en vie le peu de cellules qui le composent est assez facile, les besoins énergétiques et en oxygène étant faibles.»
Certes, la route est encore longue avant que la bio-impression ne soit généralisée en médecine. Toutefois, pour Marcy Zenobi-Wong, l’impression 3D permettra un jour aux médecins de remplacer les tissus perdus ou endommagés, tout du moins les tissus simples et fins tels que le cartilage ou la peau.
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