Clause du besoin Confier aux cantons la limitation de l’admission des médecins reviendra à se tirer une balle dans le pied. L’ordonnance mise en vigueur au 1er janvier ne met pas seulement en péril lasécurité de l’accès aux soins, elle passe également à côté de la réalité du terrain.
Cela prend des allures grotesques: nous sommes face à une pénurie de médecins et la politique met en place une clause du besoin, ce qui a pour conséquence de bloquer les solutions de remise de cabinets et d’entraver la relève. Elle occulte la réalité quotidienne de l’accès aux soins: les jeunes familles recherchent désespérément un cabinet de pédiatre et, dans certaines régions, les délais d’attente atteignent deux mois voire plus pour une consultation en pédopsychiatrie!
Christoph Bosshard
Dr méd., vice-président de la FMH et responsable du département Données, démographie et qualité
Décision prise il y a deux décennies
Il y a une vingtaine d’années, la politique a estimé que le remède miracle à l’augmentation des coûts de la santé était le gel des admissions. Cette idée constitue déjà en soi un défi. Imaginez que l’on tente de réduire le nombre de kilomètres parcourus en voiture en réduisant le nombre de stations-service. Il y a deux décennies, j’étais encore actif au sein de l’ASMAC. Nous avions eu une discussion très poussée au sujet d’un éventuel référendum. La situation politique générale qui régnait à l’époque n’a toutefois pas été de notre côté. Le gel des admissions a été mis en place, tout d’abord en tant que mesure temporaire, finalement prolongée à plusieurs reprises, avant de prendre une forme définitive par un vote au Parlement à l’été 2020. Ce dernier espérait ainsi un effet visant à freiner la hausse des coûts de l’AOS. Lors des débats parlementaires, la FMH a au moins réussi à introduire des critères de qualité, comme les compétences linguistiques. Selon elle, il est essentiel que les médecins puissent communiquer avec leurs patientes et patients dans la langue de la région du pays dans laquelle ils exercent. C’est la seule manière de garantir que l’on ne se contente pas d’interpréter des radiographies et des valeurs de laboratoires mais que les besoins individuels sont pris en compte. De plus, une bonne connaissance de notre système de santé et des réalités socioculturelles de notre pays est indispensable pour un métier où la coordination et l’interprofessionnalité ont de plus en plus d’importance.
La fixation des taux régionaux de couverture des besoins peut avoir des effets secondaires indésirables.
La nécessité de principe de réglementer fait face à l’adéquation de la mise en œuvre: suite aux difficultés à pourvoir certains postes en urgence, le Parlement a dû procéder à des améliorations ou émettre des dérogations concernant l’obligation d’exercer trois ans dans un établissement de formation postgraduée reconnu. De plus, les critères et les principes méthodologiques exigés par le législateur pour que la Confédération fixe les nombres maximums de médecins sous la forme de taux de couverture définis manquent de fiabilité pour répondre à l’objectif désormais annoncé. Le calcul s’appuie sur une analyse de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) et de BSS Volkswirtschaftliche Beratung AG (BSS). Dans le rapport, le constat des auteurs est sans appel (chapitre 6.1): «Le taux de couverture ne peut être interprété comme une mesure de l’insuffisance ou de la surabondance de l’offre que si l’on part du principe que l’offre ambulatoire actuelle dans toute la Suisse se situe à un niveau optimal (voir aussi le sous-chapitre 2.2). Dans la majorité des cas, cette hypothèse est sujette à caution. C’est pourquoi un taux de couverture inférieur ou supérieur à la moyenne ne permet pas de conclure à une offre insuffisante ou surabondante.» En substance, les données statistiques sont lacunaires et ne permettent pas de tirer des conclusions quant à une couverture actuelle ou future des besoins en prestations médicales ni d’indiquer si elle est insuffisante ou trop importante. Dans sa réponse à la consultation, la FMH a attiré l’attention sur le manque de données et sur les limites que cela pose en termes d’interprétation. Le Département fédéral de l’intérieur (DFI) n’a toutefois pas jugé utile de prendre en considération ces préoccupations dans l’ordonnance. Pour la FMH, les statistiques actuellement disponibles ne permettent pas de déterminer les taux de couverture ni de calculer les nombres maximaux de médecins qui en découlent. Par ailleurs, ces taux de couverture régionaux auront un impact sur la formation prégraduée et postgraduée des médecins et sur la qualité de la prise en charge médicale. En effet, ils risquent d’inciter les médecins expérimentés à prolonger leur engagement hospitalier faute de possibilité d’ouvrir leur propre cabinet. L’impact négatif sera double car cela réduira aussi les possibilités de choix des médecins en formation qui ont besoin de ces postes pour obtenir leur titre de spécialiste et progresser dans la hiérarchie hospitalière. Les établissements de formation perdraient toute attractivité si ces conditions n’étaient pas réunies et si la possibilité de s’installer dans la région après l’obtention d’un titre de spécialiste était loin d’être acquise. L’objectif de former la relève nécessaire est ainsi enterré, sans compter que la main-d’œuvre médicale est en train de changer.
Appel à une réduction du temps de travail
Le relevé MAS 2020, dont les résultats ont été publiés à l’automne 2022, indique une baisse du nombre de médecins exerçant en cabinet. Les statistiques publiées chaque année par la FMH mettent en évidence le vieillissement de la profession: une ou un médecin en exercice sur deux est âgé de 50 ans ou plus et une ou un sur quatre de 60 ans ou plus. La relève revendique un temps de travail à temps plein conforme à l’usage national en lieu et place des 55 heures hebdomadaires moyennes actuelles, en accord avec la tendance croissante au temps partiel. Les milieux politiques et les pouvoirs publics préfèrent fermer les yeux sur cette réalité. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée ne cesse de s’étendre et met en péril la sécurité de l’approvisionnement. Ces conditions entraînent inévitablement des conséquences sur la qualité, qui reste au centre des discussions. Indépendamment des aspects susmentionnés, et méconnus, concernant le calcul des nombres maximaux de médecins, il reste nécessaire de prendre des mesures pour lutter contre la pénurie de personnel qualifié dans toutes les professions de la santé, afin que cette main-d’œuvre profite aux patientes et aux patients et non en premier lieu aux travaux administratifs. Par ailleurs, un allègement rigoureux des tâches administratives permettrait d’augmenter la satisfaction au travail, de contrecarrer la tendance croissante à l’abandon de la profession et, à court terme, de garantir les ressources en personnel nécessaires. Une autre mesure concerne le domaine de la formation afin de former en Suisse notre propre relève. Mais il faut attendre six ans d’études universitaires et six ans de formation postgraduée avant d’en voir le résultat et qu’un spécialiste puisse exercer sous sa propre responsabilité.
…Ceci est un médicament. Demandez conseil à votre spécialiste et lisez la notice d’emballage est un slogan qui revient fréquemment. Cette pesée des bénéfices et des risques ne se limite pas à la médecine. En politique, elle se nomme analyse d’impact de la réglementation. Ce que la politique exige à juste titre de la médecine, serait également une bonne exigence pour elle-même.