Identité médicale
L’«aide au suicide» ou le «suicide assisté» est un sujet qui gagne en importance dans le monde entier. Si ce thème met au défi l’identité professionnelle du corps médical, il nécessite, outre un débat professionnel, un débat de société nuancé.
Les directives de l’ASSM posent un cadre médico-éthique solide concernant l’assistance au suicide.
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L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) salue expressément le débat public entre spécialistes à propos du suicide assisté, du moment qu’il évite la simplification abusive et la polémique, comme c’est le cas pour la contribution du Dr Martin Guggenheim.
Le Dr Guggenheim aborde cinq points qui concernent le travail de la Commission Centrale d’Éthique (CCE) de l’ASSM et sur lesquels je souhaite prendre position:
1. La CCE se penche régulièrement et de manière approfondie sur la question du suicide assisté depuis de nombreuses années. Cela a donné lieu à une évolution remarquable ces deux dernières décennies: les «Directives sur la prise en charge de personnes en fin de vie» de 2004 stipulaient que l’aide au suicide n’était éthiquement admissible «que lorsque la fin de vie est proche». Tenant compte des changements sociétaux dans de nombreux pays, dont la Suisse, les directives révisées de 2018 admettent l’assistance au suicide lorsque la mort n’est pas encore imminente, mais que la «souffrance est insupportable».
La CCE ne considère donc aucunement l’assistance au suicide comme un «corps étranger» à éviter, comme le Dr Guggenheim l’affirme dans sa critique, mais bien comme un défi sociétal grandissant, auquel le corps médical doit aussi répondre en tant que membre de cette société, et de surcroît en tant que groupe professionnel responsable de la prescription des substances létales.

L’aide au suicide est un défi sociétal grandissant, auquel le corps médical doit aussi répondre.

2. Une différence claire nous sépare de la conception défendue par le Dr Guggenheim sur la question de savoir si l’assistance au suicide est ou devrait être partie intégrante des tâches médicales. L’ASSM estime qu’un ou une médecin peut, après vérification consciencieuse de la situation, décider de fournir une aide au suicide en prescrivant une substance létale. Nous refusons en revanche une obligation de le faire.
3. Ces dilemmes éthiques ne peuvent pas être résolus par une compréhension du comportement suicidaire comme toujours «pas sain», ou «pathologique», comme le mentionne le Dr Guggenheim, en s’appuyant sur la définition très large de la santé proposée par l’OMS, ceci afin de faire de l’aide médicale au suicide littéralement «une tâche, voire même un devoir» du médecin. La propension au suicide est un état, inhérent à notre conditio humana, qui apparaît très souvent, mais en aucun cas exclusivement, dans le contexte de maladies psychiques.
4. La position de l’ASSM, selon laquelle l’aide médicale au suicide pour les personnes en bonne santé n’est pas justifiable au sens des directives, est tout particulièrement critiquée ces derniers temps (mot clé: «fatigue de vivre»). Cependant, les directives en soi ne s’entendent résolument pas comme jugement éthique ou moral du suicide. Cela serait d’ailleurs présomptueux, car l’ASSM, plus exactement la CCE n’est pas l’instance décisionnelle en matière de valeurs sociales d’ordre général. Nos directives offrent un cadre médico-éthique solide aux membres du corps médical qui sont, sur le principe, disposés à pratiquer l’assistance au suicide. En revanche, le débat concernant les personnes âgées en bonne santé mais «fatiguées de vivre» ne doit pas être mené en premier lieu par le corps médical, et encore moins par lui tout seul, mais par la société dans son ensemble.
5. Le Dr Guggenheim évoque, avec une pointe critique, la discussion récemment relancée, notamment par les médias, sur un dispositif dans lequel les personnes souhaitant se suicider peuvent s’enfermer, puis trouver la mort en respirant de l’azote pur. Il va de soi que ce sujet doit faire l’objet d’un ample débat éthique. Il s’agit toutefois d’une méthode de suicide qui ne dépend d’aucune intervention médicale. C’est pourquoi il ne s’agit pas ici de questions déontologiques concernant les professions de santé, semblables à celles que l’ASSM traite dans ses directives, mais de questions socio-éthiques, d’un débat sociétal.
Prof. ém. Dr méd. Dr phil. Paul Hoff, président de la Commission Centrale d’Éthique de l’ASSM

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