Innovation À l’hôpital, le personnel soignant ne mesure les paramètres vitaux des malades que quelques fois par jour. Le risque est de passer à côté d’états critiques. À l’Hôpital universitaire de Bâle, Jens Eckstein et son équipe se penchent sur une solution: un bracelet qui transmet en continu les valeurs du patient.
Bianca Hölz regarde le bracelet en plastique qu’elle porte au poignet. Elle lève les yeux vers le tableau de bord, revient au bracelet, puis regarde à nouveau le tableau de bord. Ça y est. Enfin. Après quelques interminables minutes d’attente, sa fréquence cardiaque s’affiche: 111. Elle apparaît en rouge: trop haute. La cheffe de projet senior du département Innovation de l’Hôpital universitaire de Bâle (USB) est pourtant soulagée. Elle sourit et se détend. Le capteur de son bracelet a relevé une mesure. L’algorithme l’a jugée fiable et elle s’est affichée sur le tableau de bord. Les personnes présentes fixent le chiffre, fascinées.
L’USB a organisé une conférence de presse pour présenter l’avancée d’un nouvel équipement numérique, grâce auquel les patients bénéficieront bientôt d’une meilleure surveillance et d’un meilleur suivi. L’élément central du projet est un bracelet, banal d’apparence, mais doté d’un capteur: le Basler Band, ou «bracelet bâlois». À ce jour, l’équipe Innovation de l’Hôpital universitaire de Bâle reste, comme elle l’indique, à la recherche du bon partenaire avec lequel développer le bracelet selon la vision de l’hôpital. Les études ont déjà fait état d’un suivi réussi de la fréquence cardiaque, du rythme cardiaque et de la température corporelle [1]. Les retours de la patientèle et du personnel soignant sont positifs. Devraient s’ajouter à l’avenir la tension artérielle, la saturation en oxygène, les données de mouvement et d’autres paramètres vitaux.
Un bracelet de petite taille, mais d’une grande aide.
© Austin Kehmeier / Unsplash

Accepter les lacunes de données

Retour à la conférence de presse: le chiffre marqué en rouge a vite disparu, pourquoi? Comment expliquer qu’aucune donnée actuelle ne s’affiche et que la suivante n’apparaît qu’au bout de quelques minutes? C’est qu’avec ce bracelet, la valeur fournie répond précisément au besoin. Certes, l’idéal serait que le tableau de bord affiche des valeurs en continu. Mais un affichage fiable, même à un certain intervalle, est plus utile aux médecins que les mesures en continu des classiques montres connectées et autres trackers. Pour un sujet en bonne santé, ce n’est pas grave si un tracker fournit des valeurs à moitié correctes. Pour une personne hospitalisée en revanche, l’affichage d’une valeur un tant soit peu incorrecte peut avoir de graves conséquences. Si l’on veut éviter tout risque et garantir la meilleure valeur possible, il faut pouvoir accepter les lacunes de données.
Le Prof. Dr. méd. Jens Eckstein, interniste, cardiologue et Chief Medical Information Officer à l’USB, dirige le projet de recherche. Il sourit. S’il semble détendu lors de la conférence de presse, les personnes présentes peuvent-elles savoir si c’est vraiment le cas? Il ne porte pas de bracelet bâlois. Il commente: «Bianca Hölz est peut-être un peu tendue et aimerait voir s’afficher plus de valeurs. Mais nous partons du principe qu’une absence de valeurs vaut mieux que des valeurs à la validité incertaine, susceptibles de biaiser l’évaluation de l’équipe soignante.»

Un projet financé par Innosuisse

Mais pourquoi ce relevé automatisé de données? L’idée née à Bâle fait aussi partie du projet phare financé par Innosuisse «Smart Hospital: Integrated Framework, Tools and Solutions» (SHIFT) [2]. L’objectif n’est rien de moins que créer l’hôpital du futur. De nouveaux schémas d’organisation et l’usage de technologies numériques doivent rendre l’hôpital plus «intelligent». La contribution de Bâle à ce projet d’avenir est de déterminer comment les «wearables», en l’occurrence ces bracelets dotés de capteurs, peuvent être utilisés de façon sûre par l’hôpital pour le suivi des patientes et des patients. «Le but est d’améliorer les traitements et de faciliter le travail des équipes soignantes», explique Jens Eckstein. Car la situation actuelle est clairement sujette à amélioration: à l’hôpital, on mesure les paramètres vitaux des patients une fois par jour au minimum, trois fois en règle générale, précise-t-il. «Pour les patients stables, on se contente donc d’une à trois mesures journalières. Ce qui se passe entre-temps, personne ne le sait vraiment.» Cela signifie que l’équipe peut passer à côté de variations de la tension artérielle, de changements de la saturation en oxygène ou de possibles poussées de fièvre. «À l’hôpital, on aurait une bien meilleure vision de l’état de santé effectif des sujets avec un suivi longitudinal», souligne le médecin. Son objectif à long terme: surveiller aussi, via ce wearable, les malades à domicile et mettre les données à la disposition des médecins de premier recours. Mais on n’en est pas encore là.
Le projet a à ce jour bien avancé: dès l’automne 2022, l’équipe a été en mesure de démontrer que le concept fonctionne, selon Jens Eckstein. Le capteur du bracelet relève des mesures et les transmet directement au système informatique de l’hôpital, qui peut alors les évaluer et les afficher. C’est déjà une innovation en soi. La spécificité, c’est que les données restent en tout temps au sein de l’hôpital. Il s’agit d’une prouesse technique nécessaire pour protéger les données sensibles relevées. Une évaluation externe ne satisferait pas aux standards.
Le principe de base, c’est l’installation par l’équipe d’un réseau de récepteurs wifi et bluetooth d’un partenaire technique à l’intérieur de l’hôpital. Dès qu’un wearable enregistré se trouve à proximité d’un récepteur, il envoie les données. Et si une personne reste trop loin d’un des récepteurs pendant un certain laps de temps, le dispositif stocke provisoirement les données. Une fois les mesures transmises, elles sont directement enregistrées dans le système de l’hôpital et associées à l’identifiant patient concerné. Le logiciel nécessaire a été développé avec une start-up zurichoise et intégré à l’aide de partenaires techniques dans les futurs dispositifs standards de l’hôpital. Dans le cadre du projet SHIFT, ces données sont immédiatement évaluées à l’aide d’algorithmes et affichées pour visualisation par l’équipe soignante.
Selon Jens Eckstein, un des avantages de la solution est la possibilité de connecter différentes applications et wearables au système technique. L’hôpital n’est donc pas dépendant d’un fournisseur spécifique. Dans l’article «Device- and Analytics-Agnostic Infrastructure for Continuous Inpatient Monitoring: A Technical Note» [3], l’équipe de Jens Eckstein présente en détail le processus entre le relevé des données et leur visualisation.
Jens Eckstein confie que le concept suscite l’intérêt d’autres cliniciennes et cliniciens. Par exemple celui des Dr méd. Max Maurer et Axel Winter de la Charité à Berlin. Ils testent actuellement le relevé et l’évaluation des paramètres vitaux de patients en chirurgie, afin d’améliorer le suivi postopératoire. Ils utilisent pour ce faire la technologie bâloise. L’avis de Max Maurer sur le projet de Jens Eckstein et son équipe: «Le travail fourni est de très haute qualité.» Axel Winter renchérit: «Le jeu de données qu’on relève ici, à Berlin, est extrêmement élevé. Bien meilleur qu’avec d’autres modes de mesure des paramètres vitaux.»

Des recherches restent nécessaires

Même si le développement est déjà très avancé, il faudra encore du temps avant que Jens Eckstein et son équipe puissent réellement se fier aux données relevées. «On sait par exemple déjà faire un diagnostic fiable de fibrillation auriculaire grâce à ces wearables», dit Jens Eckstein. Cela fait plusieurs années qu’il travaille sur le diagnostic de fibrillation auriculaire à l’aide de smartphones et de wearables [4]. Il explique que l’algorithme peut désormais être aussi utilisé avec le bracelet bâlois. Malgré des données de variation de fréquence cardiaque et de contrôle du rythme cardiaque désormais valides ainsi que des résultats de température corporelle prometteurs, l’équipe de Jens Eckstein effectue encore un contrôle manuel de ces paramètres et ne mise pas sur les seuls relevés automatiques.
Une fois que les résultats fournis par les algorithmes seront assez précis, l’équipe pourra passer à l’étape suivante: surveiller des patientes et des patients équipés de wearables depuis leur domicile. En cas de succès, les gens pourront regagner plus vite leur environnement habituel, avec les économies de coûts de santé que cela implique. «Mais en ambulatoire, relever les données est encore plus compliqué et c’est aussi une énorme responsabilité», observe Jens Eckstein. Le temps venu, le transfert des données à l’hôpital se fera à travers l’application déjà existante myUSB. «Notre application est protégée par un cryptage de bout en bout et demande une double authentification», dit-il en évoquant le concept de sécurité.
«Le but, c’est d’être opérationnels d’ici fin 2024, dit-il avant d’ajouter: Sportif. Je sais.» Il sourit. Visiblement détendu.
1 Aperçu de toutes les études du Prof. Dr méd. Jens Eckstein disponible sous www.researchgate.net/profile/Jens-Eckstein
3 doi.org/10.1159/000509279