Canicule et santé publique

Canicule et santé publique

Cabinet malin
Édition
2024/1314
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1374951180
Bull Med Suisses. 2024;105(13-14):64-65

Publié le 27.03.2024

Droit
La notion de durabilité est omniprésente dans le contexte du système de santé. En revanche, les réflexions juridiques restent lacunaires en matière de prévention et de gestion des crises sanitaires provoquées par les vagues de chaleur.
«Hitzefrei»? Ce congé pour cause de canicule représente une anecdote juridique datant d’une époque où le changement climatique n’était pas vraiment reconnu. Plusieurs réglementations cantonales prévoyaient autrefois de tels congés. En 2003, Bâle-Ville était le dernier canton à l’abolir en raison de l’incompatibilité avec le devoir de prise en charge de l’école et les obligations professionnelles des parents.
La canicule est un phénomène complexe à appréhender par le droit en raison de sa transversalité, touchant de nombreux domaines comme les soins, l’école, le travail et l’aménagement du territoire. Le droit réfléchit en catégories bien distinctes. Les compétences législatives sont souvent fragmentées et le fédéralisme suisse opère une répartition complexe entre compétences fédérales, cantonales et communales.
Néanmoins, le droit constitue un outil indispensable pour protéger la santé de la population, et des personnes vulnérables en particulier, en période de canicule. Le droit international conçoit le droit humain à la santé au sens large, allant au-delà d’un droit d’accès aux soins et y intégrant les déterminants socio-économiques de la santé (alimentation, éducation, logement, travail, chaleur). Selon le Tribunal fédéral, le droit à la santé a un caractère programmatique. En ratifiant les traités internationaux, la Suisse s’est engagée à respecter, protéger et mettre en œuvre ce droit. Il doit ainsi être concrétisé et implémenté par le législateur.

Plans canicule cantonaux et communaux

Pour ce qui est de la prévention et de la gestion des crises sanitaires en lien avec les canicules, le droit de la santé publique fournit des instruments comme les systèmes d’alerte en cas de canicule (par exemple Alerte MétéoSuisse). En l’absence de plan d’action au niveau fédéral, la Confédération propose aux autorités cantonales et communales depuis 2021 une boîte à outils de mesures contre la chaleur. Des démarches parlementaires pour adopter un plan fédéral sont restées sans succès. En revanche, les plans canicule cantonaux et communaux, adoptés principalement en Suisse romande et au Tessin, jouent un rôle central pour la protection des populations vulnérables. Ces plans mettent en place des outils comme les campagnes de sensibilisation, la prise de contact quotidienne avec des personnes âgées vivant seules («buddy system») ainsi que des démarches de coordination entre autorités (santé, services sociaux, protection civile, police, etc.). Les cantons alémaniques semblent restés plus figés pour l’instant à la notion de responsabilité individuelle.
Au-delà des plans d’urgence étatiques, les plans canicule au niveau des institutions sociosanitaires (hôpitaux, EMS, etc.) sont peu développés, avec l’exception du canton de Vaud. Ces plans institutionnels devraient pourtant régler des questions essentielles en lien avec la prise en charge des patients ou résidents ainsi que les conditions de travail des employés. Il s’agirait de trancher notamment des questions juridiques délicates comme l’installation de climatiseurs et l’adaptation des tenues vestimentaires.

Des lacunes de capacités et de ressources

Du point de vue empirique, les plans canicule se sont révélés être des instruments juridiques efficaces dans la prévention de la surmortalité liée aux canicules. Ils permettent de réaliser le droit à la santé. La variété cantonale et communale dans la prévention et la gestion des canicules tient certes compte des caractéristiques géographiques et institutionnelles locales. Souvent, cette variété reflète toutefois des lacunes de capacités et de ressources. Ces lacunes créent des inégalités en matière d’exposition aux effets de la chaleur alors que les canicules constituent un phénomène généralisé sur le territoire suisse et que la situation des personnes vulnérables est semblable dans toutes les zones urbaines. Des normes minimales en matière de plans d’urgence ou d’action – imposées au niveau fédéral – semblent être la solution juridique durable à envisager.
Prof. Dre Mélanie Levy Professeure assistante et codirectrice de l’Institut de droit de la santé, Faculté de droit, Université de ­Neuchâtel. Directrice d’un projet de recherche FNS ­Eccellenza.