L’art de la communication thérapeutique

Le mot de la fin
Édition
2024/1314
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1385986204
Bull Med Suisses. 2024;105(13-14):66

Publié le 27.03.2024

La parole comme une arme? Sans aucun doute, il s’agit d’un instrument humain puissant, doté d’un pouvoir de transmission, de conviction, de consolation, autant que de calomnie, de manipulation et de mensonge. Son détournement idéologique a été dénoncé par beaucoup, dont George Orwell avec la fameuse novlangue de son «1984» ou Victor Klemperer, linguiste renommé, décortiquant chaque jour l’évolution «totalitaire» de la langue allemande sous le 3e Reich [1]. Il y a résisté par ses écrits, qu’il surnommait «mes petits soldats de papier». La parole est bien une arme.
Ces textes, notamment, m’ont fait réfléchir à la place de la parole en médecine. À l’art de la parole, plus exactement. Une parole si centrale, si incontournable, chargée de tant de fonctions! En tant que médecins, nous savons combien une bonne communication avec nos patients est primordiale pour créer et maintenir avec eux une relation privilégiée. Mais aussi pour les informer, les rassurer, les accompagner. Nous savons également d’expérience combien des paroles malhabiles ou une annonce de mauvaise nouvelle qui ne trouve pas le bon chemin entre prudence et vérité crue peuvent être mal vécues, parfois même dévastatrices.
La parole soignante a démontré dans divers cadres sa forte contribution au soulagement et à la guérison. Pensons par exemple au supplément statistiquement significatif d’antalgie et de bien-être lors de l’accompagnement verbal de diverses thérapies [2], au bienfait d’explications rassurantes, aux projets de soins partagés, aux suggestions hypnotiques, à la «Talking cure» qu’est la psychanalyse, et à bien d’autres exemples encore.
S’il est difficile de douter du pouvoir de la parole, les médecins ne se sentent toutefois pas toujours préparés aux compétences communicationnelles qui contribuent non seulement à la qualité de l’interaction médicale, mais aussi à éviter maints malentendus. Aussi faut-il saluer l’introduction d’une sensibilisation à la «Communication thérapeutique» dans l’offre de formation postgraduée d’un certain nombre d’hôpitaux romands [3]. Parmi plusieurs autres aspects, ces formations rendent attentifs à l’utilisation du langage non verbal. Inspirée de l’hypnose communicationnelle, la reformulation proposée des phrases avec des mots et expressions à connotation positive apporte, quant à elle, une détente bienvenue aux patients. Des exemples? Le remplacement de «Je vais vous piquer» par «Voilà, nous allons commencer», de «Ne vous inquiétez pas» par «Rassurez-vous».
En dépit de leur indéniable apport, une certaine caution est de mise devant ces «boîtes à outils» relationnelles. Car la communication et la rencontre authentiques ne peuvent être ni standardisées, ni normalisées. Elles s’appuient sur un subtil accordage de deux partenaires, où l’intersubjectivité, l’intuition et même «l’atmosphère» du moment [4] jouent un rôle central.
Il en va de même pour la place laissée à l’autre dans le silence attentif d’une véritable écoute. En consultation, il arrive souvent que la parole doive s’effacer. «L’on doit trouver en soi assez de disponibilité pour accueillir les paroles et les silences d’un autre, sans aussitôt les couvrir de sa propre volubilité et de sa propre inquiétude», écrit Catherine Chabert à propos des rencontres avec des patients en grande souffrance [5]. En plus d’une disponibilité active, l’écoute nécessite une ouverture aux autres et une forme d’humilité. La puissance thérapeutique de cette facette de la communication mérite, elle aussi, d’être reconnue.
Anne-Françoise Allaz Prof. Dre méd., membre de l’Advisory Board du Bulletin des médecins suisses
1 Klemperer V. LTI, la langue du 3e Reich, Albin Michel 1996.
2 Colloca L, Lopiano L, Lanotte M, Benedetti F. Overt versus covert treatment for pain, anxiety, and Parkinson's disease. Lancet Neurol. 2004 Nov;3(11):679-84.
3 Darbellay C, Magnin S, Haidar Ahmad A, Wolff A et al. La communication thérapeutique en médecine interne. Rev Med Suisse 2022 ; 18 : 2026-9.
4 Langewitz W. Beyond content analysis and non-verbal behaviour – what about atmosphere? Patient Educ Couns 2007 Aug;67(3):319-23.
5 Chabert C. La douleur. Collectif, Erès, Paris, 2015.