En cas d’AVC, chaque minute compte

Savoir
Édition
2024/16
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1408915293
Bull Med Suisses. 2024;105(16):

Publié le 17.04.2024

Étude
Nouvelles connaissances dans le traitement de l’accident vasculaire cérébral (AVC): l’association d’une thrombolyse et d’une thrombectomie consécutive n’est judicieuse que si la thrombolyse est débutée très tôt après le début des symptômes. Le Prof. Dr Dr méd. Johannes Kaesmacher, du Stroke Research Center de l’Hôpital de l’Île, explique les résultats de son étude.
Le facteur temps est décisif dans la thrombolyse intraveineuse.
© Puwadol Jaturawutthichai / Dreamstime
Professeur Kaesmacher, le traitement de l’AVC fait actuellement l’objet d’une controverse parmi les spécialistes. Pouvez-vous l’expliquer brièvement?
La thrombolyse intraveineuse a longtemps été le seul traitement de reperfusion basé sur l’évidence en cas d’AVC ischémique [1]. Malheureusement, la thrombolyse seule n’était pas très efficace, en particulier pour les gros thrombi intracrâniens. L’association d’une thrombolyse intraveineuse et d’une thrombectomie endovasculaire est supérieure à la thrombolyse seule, comme cela a été démontré depuis 2015 dans de nombreuses études internationales avec une taille d’effet extrêmement élevée [2]. Comme le taux de recanalisation obtenu par la thrombectomie endovasculaire est très élevé, la question de l’intérêt de la thrombolyse intraveineuse préalable, dans la mesure où le traitement endovasculaire peut être effectué rapidement, s’est posée peu après la publication des résultats de ces nouvelles études.
Quelles nouvelles découvertes avez-vous faites dans l’étude internationale [3] menée sous la direction de l’Hôpital de l’Île et de l’Université de Berne?
L’hypothèse de notre étude était que l’effet de la thrombolyse intraveineuse diminue avec le temps. Cela avait déjà été démontré dans des études ayant comparé la thrombolyse intraveineuse à un traitement placebo [1]. Si les résultats ne sont donc pas fondamentalement surprenants, il reste à savoir comment cet effet temporel se produit exactement chez les patientes et patients faisant en plus l’objet d’une thrombectomie endovasculaire. Dans les études plus anciennes, une modification du risque hémorragique au fil du temps et la croissance de l’infarctus ont joué un rôle majeur pour la thrombolyse intraveineuse seule. Cela semble être moins le cas chez les patientes et patients subissant en plus une thrombectomie endovasculaire. Des études supplémentaires sont donc nécessaires pour déterminer le mécanisme exact de la temporalité.

«Nous pouvons aujourd’hui affirmer que la thrombolyse apporte un bénéfice supplémentaire aux patientes et patients pris en charge rapidement, mais que ce bénéfice est très discutable pour celles et ceux qui sont pris en charge tardivement.»

Qu’apportent à présent les résultats de votre étude à la pratique médicale?
Les résultats de l’étude peuvent aider à évaluer les bénéfices individuels d’une thrombolyse supplémentaire avant la thrombectomie mécanique pour les patientes et patients amenés dans un centre où une thrombectomie endovasculaire directe peut être réalisée rapidement. Sur la base de l’interaction temporelle observée, nous pouvons dire de manière simplifiée que les patientes et patients admis très tôt après le début des symptômes profitent de la thrombolyse supplémentaire, alors que celles et ceux traités plutôt tardivement après le début des symptômes ne profitent pas de la thrombolyse supplémentaire, qui pourrait même être nuisible dans ce cas.
Ces résultats vont-ils changer la pratique?
La question de savoir si la pratique dans les grands centres internationaux va maintenant changer dépend essentiellement de la fiabilité perçue desdits résultats. Ceux-ci découlent d’une analyse d’interaction ou d’hétérogénéité, dans laquelle différents effets thérapeutiques sont examinés dans des sous-groupes. De nombreuses analyses de ce type sont caractérisées par des résultats faussement positifs, d’où la nécessité d’être prudent dans l’interprétation.
Que recommandez-vous aux hôpitaux traitants?
En tant que groupe d’auteurs, nous recommandons de tenir compte de ces résultats dans la prise de décision thérapeutique en situation aiguë. Cela signifie d’une part que l’on dispose de 2 heures et 20 minutes après l’apparition des symptômes pour administrer la thrombolyse malgré une thrombectomie endovasculaire immédiate. D’autre part, la probabilité d’effet négatif est faible si l’on renonce à la thrombolyse après 2 heures et 20 minutes. Ces résultats ne sont toutefois applicables que si les patientes et patients peuvent être admis directement dans un centre où la thrombectomie endovasculaire peut être immédiatement réalisée. Pour les patientes et patients transférés, une thrombolyse doit être systématiquement administrée, pour autant qu’il n’y ait pas de contre-indication.
Récemment en Europe, il était difficile de se procurer les thrombolytiques nécessaires pour traiter l’AVC ischémique. Ces médicaments devraient-ils être réservés aux victimes d’AVC dont il est prouvé qu’elles en bénéficieront?
La situation concernant la pénurie de thrombolytiques s’est à nouveau améliorée entre-temps. Néanmoins, elle a illustré concrètement à quel point il est important de pouvoir estimer la taille d’effet d’un traitement sur la base de données randomisées. Nous pouvons aujourd’hui affirmer que la thrombolyse apporte un bénéfice supplémentaire aux patientes et patients pris en charge rapidement, mais que ce bénéfice est très discutable pour celles et ceux qui sont pris en charge tardivement. En période de pénurie de médicaments, ces données peuvent donc clairement contribuer à favoriser l’accès au médicament aux patientes et patients appartenant au groupe pour qui l’effet bénéfique est solidement prouvé.
Prof. Dr Dr méd. Johannes Kaesmacher Chef de clinique en neuroradiologie, professeur associé à l’Université de Berne. Institut universitaire de neuroradiologie interventionnelle et diagnostique, Stroke Research Center, Hôpital de l’Île, Hôpital universitaire de Berne.
1 Emberson J, Lees KR, Lyden P, Blackwell L, Albers G, Bluhmki E, Brott T, Cohen G, Davis S, et al. Effect of treatment delay, age, and stroke severity on the effects of intravenous thrombolysis with alteplase for acute ischaemic stroke: a meta-analysis of individual patient data from randomised trials. Lancet. 2014 Nov 29;384(9958):1929-35. doi.org/10.1016/S0140-6736(14)60584-5
2 Goyal M, et al. Endovascular thrombectomy after large-vessel ischaemic stroke: a meta-analysis of individual patient data from five randomised trials. 2016 Apr 23;387(10029):1723-31. doi.org/10.1016/S0140-6736(16)00163-X
3 Kaesmacher J, Cavalcante F, Kappelhof M, et al. Time to Treatment With Intravenous Thrombolysis Before Thrombectomy and Functional Outcomes in Acute Ischemic Stroke: A Meta-Analysis. JAMA. 2024;331(9):764–777. doi.org/10.1001/jama.2024.0589