La jurisprudence du Tribunal fédéral sur la diligence médicale s’appuie sur des années d’évolution du droit. Celui relatif à la responsabilité médicale est en partie composé d’arrêts prononcés il y a plus de 40 ans et constituant toujours une jurisprudence valide. Un médecin vient d’être acquitté du chef d’homicide par négligence: examinons les motifs de sa relaxe.
Le présent article fait un tour d’horizon des arrêts de principe en matière de droit relatif à la responsabilité médicale, débouchant sur un arrêt de principe qui a été prononcé en octobre 2021 en droit pénal [1]. Revenons sur les devoirs de diligence médicale qui couvrent le traitement lege artis, le devoir d’information des médecins et l’obligation de documentation.
Devoir d’information des médecins
L’un des arrêts du Tribunal fédéral les plus importants sur le devoir d’information des médecins date de 1991. Ce devoir d’information, sans lequel la patiente ou le patient ne peut pas formuler ce qu’onappelle un consentement éclairé (informed consent), est essentiel au respect du droit à l’autodétermination.
Partant du principe que, d’après la jurisprudence, une intervention médicale visant à guérir enfreint les éléments constitutifs d’une lésion corporelle, le Tribunal fédéral a formulé comme suit les exigences posées au devoir d’information des médecins dans cet arrêt de principe: «Une intervention à des fins de guérison constituant une atteinte à l’intégrité corporelle de la patiente ou du patient, elle est contraire au droit si elle n’est pas justifiée, notamment par le consentement de la patiente ou du patient après que les informations suffisantes lui ont été fournies. Le devoir d’information des médecins servant à protéger à la fois le libre arbitre de la patiente ou du patient et son intégrité corporelle, le non-respect de ce devoir entraîne une obligation d’indemniser les dégâts immatériels, mais aussi les autres (consid. 2)».[2]
Dans l’arrêt ATF 117 Ib 197 mentionné, le Tribunal fédéral a défini une norme d’étendue des informations. Il s’agit d’une part du diagnostic posé par le médecin, d’autre part «des risques liés à l’intervention, évalués d’après les connaissances médicales existantes à la date concernée». Mais il attache peu d’importance à une éventuelle erreur de diagnostic constatée après-coup. De plus, il estime que le médecin doit «expliquer à la patiente ou au patient les risques de la méthode de traitement envisagée, à moins qu’il ne s’agisse de mesures courantes, n’entraînant aucun danger particulier, ni aucune atteinte durable ou définitive à son intégrité corporelle». Il convient d’expliquer l’intervention ou le traitement à la patiente ou au patient de manière à ce qu’il/elle puisse donner son consentement en toute connaissance de cause. Mais ces explications ne doivent pas pour autant générer un état d’anxiété portant atteinte à sa santé.
De même, le médecin n’est pas obligé de «détailler les dangers de l’opération prévue à la patiente ou au patient, ou à son représentant légal, s’il est clair que les risques encourus sont connus, du fait d’une précédente opération identique ou similaire.» Cependant, «en cas d’opération impliquant habituellement des risques importants, pouvant avoir des conséquences graves», le médecin doit «expliquer et informer la patiente ou le patient plus précisément que s’il s’agissait d’une intervention n’entraînant généralement aucun problème».
Obligation de documentation des médecins
En 2015, un autre arrêt de principe a été prononcé par le Tribunal fédéral, portant sur les exigences relatives au devoir de documentation des médecins [3]. D’après cet arrêt, il faut consigner ce qui est utile et habituel d’un point de vue médical [4]. La composition du dossier médical doit garantir une documentation claire et exhaustive du traitement. C’est un fait incontesté que la documentation du dossier médical d’une part contribue à la sécurité du traitement, d’autre part assure la conservation des preuves.
Devoir de diligence des médecins [5]
En octobre 2021, le Tribunal fédéral a prononcé un arrêt sur la responsabilité pénale d’un médecin [6]. Il est prévu que cet arrêt soit publié dans le recueil officiel. Cela signifie que son contenu est important pour la jurisprudence. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a acquitté un médecin de famille du chef d’homicide par négligence. Sa patiente était décédée des suites d’un choc anaphylactique, après la prise d’un médicament qu’il lui avait prescrit. La procédure s’est concentrée sur le non-respect du devoir de diligence, dans la mesure où il était reproché au médecin d’avoir prescrit du Cefuroxime en présence d’une allergie à la pénicilline. Dans le même dossier, en 2020, le Tribunal cantonal d’Argovie a déclaré une pharmacienne officiellement coupable d’homicide par négligence. Elle avait délivré l’antibiotique car elle n’avait pas vu l’indication d’allergie aux antibiotiques qui figurait dans son système informatique [7].
Dans ce dossier, en s’appuyant sur les constatations objectives de la première instance et sur l’évaluation des experts, le Tribunal fédéral a confirmé que le médecin avait respecté suffisamment ses devoirs d’information et de diligence, dans la mesure où il a fait une première anamnèse et où, lors d’une «conversation personnelle avec la patiente, il a notamment abordé la question de l’allergie aux antibiotiques et lui a demandé avec insistance de lui apporter son dossier médical». La patiente aurait bien amené des documents médicaux à son nouveau médecin de famille, mais elle aurait omis de lui fournir son ancien dossier médical complet. Lors d’une autre consultation, environ un mois plus tard, n’ayant toujours pas le dossier, il a insisté et a demandé à sa patiente de le lui présenter «de toute urgence».
Principale motivation du jugement: lors de la première consultation, la patiente s’était engagée à fournir le dossier de son précédent médecin de famille. Malgré l’insistance du médecin de famille, la patiente n’a pas obtenu le dossier de son ancien médecin et ne l’a pas transmis. Dans quelle mesure le médecin de famille aurait-il dû se procurer l’ancien dossier médical directement auprès du précédent médecin? Pouvait-il se fier aux promesses de sa patiente? Cela faisait plus d’un an qu’il voyait cette femme environ tous les quinze jours en consultation pour son traitement. Cependant, d’après le Tribunal fédéral, cette fréquence et le nombre des traitements auraient été relativisés car «les antithrombotiques exigeaient un contrôle régulier de l’INR». Or cette vérification se serait faite en général dans le cadre d’une consultation de routine.
Le Tribunal fédéral a confirmé l’acquittement du médecin du chef d’homicide par négligence dû à un manque de diligence médicale.
Dans l’arrêt en question, le Tribunal fédéral retient que le médecin est systématiquement tenu de «choisir le bon traitement, en veillant à ce qu’il n’existe aucune incompatibilité (contre-indication)». Il est donc déterminant de savoir «si l’incidence négative (contre-indication) et l’incompatibilité étaient connues au moment de la prescription (…)» [8]. Mais le cas particulier reste toujours déterminant, le devoir de diligence du médecin dépendant «notamment dutype d’intervention médicale, des risques y relatifs, de sa marge d’appréciation, de l’évaluation dont il dispose, ainsi que des moyens et du caractère urgent de l’acte médical. Le médecin doit appliquer la diligence possible et raisonnable dans les circonstances existantes. Il n’a cependant pas à assumer les dangers et les risques inhérents à un traitement médical et liés à la maladie. En outre, le médecin dispose souvent d’une certaine marge de manœuvre dans le diagnostic et dans la prescription du traitement ou d’autres mesures. Ce n’est que lorsqu’un traitement ou toute autre procédure n’apparaissent plus comme défendables selon l’état de la science et ne respectent donc plus les exigences de l’art médical qu’une violation de son devoir de diligence doit être retenue» [9].
Le cas présent montre la marge de manœuvre décisionnelle. Cela ne signifie pas pour autant qu’un médecin n’est pas tenu de compléter le dossier médical, de façon à choisir le bon traitement lege artis. En l’espèce, le médecin de famille avait tout de même sollicité la patiente avec insistance pour qu’elle lui transmettre le dossier de son précédent médecin de famille. Le Tribunal fédéral estime que, comme la patiente l’avait assuré d’une démarche active, il n’avait pas à en entamer une lui-même. Étant donné les éléments du dossier médical, on peut supposer que le déroulement du traitement a pu être reconstitué au bénéfice du médecin.
Cependant, la mention d’une allergie aux antibiotiques dans le dossier de la pharmacienne et le fait que cela lui ait échappé a entraîné la condamnation pénale de cette professionnelle. Les échanges interprofessionnels n’ont pas été assurés entre les différents systèmes de documentation. Cela montre une fois de plus qu’il est nécessaire que la coordination interprofessionnelle et les échanges d’informations visant à garantir la sécurité des patientes et des patients fonctionnent et que la patiente ou le patient doit jouer un rôle actif dans le traitement.
Ce cas prouve à nouveau qu’il est indispensable d’utiliser dans le quotidien médical, comme interface entre les échanges interprofessionnels, des canaux de communication et des systèmes de sauvegarde informatique harmonisés, comme le DEP, et ce dans l’intérêt de la sécurité des patientes et des patients, mais aussi de la sécurité juridique des médecins [10].
Correspondance
iris.herzog[at]fmh.ch
Références
1 TF du 28.10.2021 (6B_727/2020) (d) prévu pour publication dans le recueil officiel.
2 ATF 117 Ib 197 (d)
3 ATF 141 III 363(d)
4 ATF 141 III 363(d)
5 TF du 23.03.2017 (6B_1031/2016): «Le médecin contrevient uniquement à ses obligations quand il pose un diagnostic ou choisit un traitement ou toute autre procédure qui ne semble plus défendable à l’aune de l’état général des connaissances de sa spécialité, et ne satisfait donc plus aux exigences formulées par l’art médical (ATF 134 IV 175 (d) consid. 3.2; ATF 130 IV 7 (d) consid. 3.3, chacun avec réf.; voir aussi ATF 130 I 337 (d) consid. 5.3; ATF 133 III 121 consid. 3.1; ATF115 Ib 175 consid. 2b)».
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